Après dix-sept années d’errance silencieuse, vingt-trois livres rares — dérobés en 2008 dans la prestigieuse Durning-Lawrence Library de la Senate House Library à l’Université de Londres — ont été retrouvés dans une librairie de Barcelone en 2025.
Le vol fut discret et resta longtemps inexpliqué. La collection Durning-Lawrence, riche d’environ 5 750 ouvrages imprimés entre le XVe et le XXe siècle, comportait des éditions rares de textes littéraires et historiques, des sources shakespeariennes précieuses, des livres emblématiques et des ouvrages anciens d’érudition.

La découverte des pertes en 2008 fut un choc pour les conservateurs. Contrairement à des vols spectaculaires, ces disparitions étaient subtiles, presque invisibles : les volumes s’évaporaient sans bruit, parfois sans laisser de trace évidente d’effraction. Ils finirent sur le marché de l’antiquariat, débarrassés de leurs marques d’appartenance et vendus, au fil des années, à des collectionneurs ou intermédiaires peu méfiants.
L’une des clefs de cette affaire réside dans la coopération entre bibliothécaires, libraires, associations de marchands de livres anciens et autorités policières. Deux lecteurs britanniques avaient, par hasard, acquis des ouvrages provenant de cette collection avant de s’apercevoir de leur origine illégitime, puis de les restituer volontairement.
Grâce à ce geste désintéressé — et à l’aide de la maison de ventes Maggs Brothers —, les enquêteurs traquèrent le reste des volumes jusqu’à un libraire à Barcelone.
Les livres, saisis légalement après que la police espagnole eut levé l’embargo qui les protégeait, furent finalement restitués à leur bibliothèque d’origine. Plusieurs d’entre eux portent encore les blessures de leur long exil : étiquettes arrachées, coins de pages découpés, annotations effacées. Mais aujourd’hui, ils retrouvent leur place légitime sur les rayonnages qui les attendaient depuis près de deux décennies.

Chacun des volumes récupérés fait partie intégrante de la bibliothèque Durning-Lawrence. Deux d’entre eux étaient de petites éditions néerlandaises de l’œuvre finale de Bacon, Sylva Sylvarum, publiée en latin par les Elzevir en 1648 et 1661. L’un était la première édition française de Life of Francis Bacon (1742) de David Mallet. Un autre ouvrage, moins flatteur, prend Bacon comme point de départ pour discuter de la corruption à la lumière de la bulle de la South Sea Company (1721) ; cet ouvrage a connu un grand succès lors de sa publication, avec sept éditions en un an. Robert Whittle a dédié son ouvrage The Way to the Celestiall Paradise (1620) à Bacon. Parmi les deux éditions de l’ouvrage de William Martyn intitulé The Historie and Liues of the Kings of England, from William the Conqueror vnto the end of the Raigne of King Henrie the Eight (1615 et 1628), la seconde inclut Bacon dans sa liste des vicomtes. Deux autres ouvrages comportent sur leur page de titre des images qui ont été interprétées comme des indices de la paternité de Bacon sur les œuvres de Shakespeare. Bacon s’adresse à l’assemblée divine dans Advices from Parnassus. Sylva Sylvarum, la biographie de Mallet, et Francis, Lord Bacon: or, The case of private and national corruption, and bribery impartially consider’d complètent toutes les autres éditions des titres de la bibliothèque de Durning-Lawrence.
Pour l’univers du livre ancien, ce genre de restitution est exceptionnel. Selon la Missing Books Register — une base de données internationale gérée par l’International League of Antiquarian Booksellers (ILAB) pour recenser les livres volés ou disparus — la majorité des œuvres volées ne réapparaît jamais, absorbée dans des collections privées ou des circuits opaques où la traçabilité est impossible.