Biominéralisation: des bactéries alliées insoupçonnées du patrimoine

A priori, on serait tenté de dire que la bactérie, à l’image de la moisissure, de l’eau et des tremblements de terre, est un ennemi naturel et historique de l’œuvre d’art. Il suffit pour cela de penser à la grotte de Lascaux, « chapelle Sixtine de l’art pariétal », fermée définitivement au public à cause d’une infestation microbiologique qui menace ses pigments vieux de 18 000 ans. Mais la nature fournit parfois à l’homme de précieux antidotes pour sauvegarder, quelques siècles encore, ses créations. En 2016, huit étudiantes de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Toulouse (Haute-Garonne) et de l’université Toulouse-III-Paul-Sabatier proposaient de sauver Lascaux à l’aide d’une bactérie modifiée capable de limiter la progression des champignons. En 2018, une équipe de chercheurs de l’université de Ferrare tentait de prévenir la dégradation des peintures grâce à la pulvérisation d’une bactérie sur la surface de la toile. Répondant au doux nom de Bacillus subtilis, elle permettrait d’empêcher le développement de micro-organismes à l’origine de la destruction des pigments. L’hypothèse avait notamment été éprouvée sur un tableau de Carlo Bonni, un Couronnement de la Vierge, exécuté en 1620. On avait même envisagé que cette bactérie puisse être utilisée comme traitement préventif pour limiter les infestations.

Depuis des dizaines d’années, des bactéries sont utilisées dans le cadre de travaux de restauration de monuments en pierre calcaire. Appelée biominéralisation, cette technique s’appuie sur un phénomène naturel, la carbonatogénèse, selon lequel les bactéries présentes dans la pierre calcaire sont capables de fabriquer du carbonate de calcium. Les bactéries sont pulvérisées à la surface de la pierre et vont en régénérer l’épiderme, sans altération de forme ni de couleur. L’identification de ces bactéries calcifiantes, dès les années 1990, a mené en 2014 une équipe de chercheurs de l’Université de Grenade à mettre au point un procédé de bioconsolidation qui utilise les bactéries déjà présentes naturellement dans la roche.

Plus récemment, en août 2020, la biologiste Anna Rosa Sprocati, qui a également travaillé sur la chapelle des Médicis, a isolé une bactérie sur un site industriel près de Naples pour restaurer le monumental relief en marbre La Rencontre entre Léon Ier le Grand et Attila, conservé à Saint-Pierre de Rome et exécuté par Alessandro Algardi vers 1646-1653). Ceci a permis de débarrasser l’œuvre des couches de cire accumulées au fil des siècle à cause de la présence de bougies votives.

Les restaurateurs en charge du nettoyage des sculptures de la Sagrestia Nuova (Nouvelle Sacristie), une chapelle privée des Médicis conçue par Michel-Ange (1475-1564) à la basilique San Lorenzo de Florence ont fait disparaître de la surface des marbres des taches sombres dues notamment à la putréfaction d’un corps inhumé à la hâte, grâce à une petite bactérie dévoreuse de graisse et de phosphate répondant au nom savant de Serratia ficaria SH7.

La chapelle fait aujourd’hui partie de l’ensemble des musées du Bargello qui a encadré le chantier de restauration. Celui-ci a été dirigé par l’historienne de l’art Monica Bietti, ancienne responsable du musée des chapelles des Médicis, et mené par une équipe de restauratrices de l’Institut des sciences du patrimoine culturel du Conseil national de la recherche (ISPC-CNR) et de l’Agence nationale pour les nouvelles technologies (ENEA). Les travaux, qui ont porté sur l’ensemble du décor de la chapelle, ont permis de restituer les valeurs chromatiques d’origine du mausolée et de mieux comprendre la technique de Michel-Ange, le niveau de finition des sculptures variant selon les personnages mais aussi en fonction de leur emplacement et du rapport à la source lumineuse. Mais c’est l’utilisation d’une technique de nettoyage innovante qui fait toute la spécificité de cette restauration.

Via https://www.connaissancedesarts.com/artistes/michel-ange/une-bacterie-mangeuse-de-graisse-au-secours-dun-chef-doeuvre-de-michel-ange-11171498/