Nous vivons aujourd’hui dans le rêve de Fra Mauro, le moine-cartographe vénitien de la fin du Moyen Âge qui a créé la carte du monde la plus détaillée et la plus précise de l’histoire de l’humanité.
« Jeune homme, Fra Mauro avait été soldat et marchand de la célèbre flotte marchande de Venise », peut-on lire sur le site de New World Cartographic. « Ses voyages avec la flotte autour de la Méditerranée et du Moyen-Orient l’ont amené à s’intéresser à la cartographie, et il s’est finalement installé au monastère de San Michelle sur l’île de Murano, dans la lagune de Venise, où il est devenu un frère laïc. Au début des années 1450, « il est chargé par le roi Afonso V du Portugal de créer une carte du monde ». La volonté du Portugal de dominer le commerce mondial, qui nécessitait les cartes les plus détaillées possibles, allait de pair avec la volonté de Fra Mauro de recueillir des informations sur tous les coins de la Terre, même les plus éloignés. Et il pouvait le faire sans quitter Venise : comme l’écrit Adam Kessler d’Atlas Obscura, « les marchands arabes et les explorateurs du monde passaient par le port, offrant à Fra Mauro une source incomparable de ragots et d’histoires à dormir debout sur le monde ».
La chute de Constantinople, survenue quelques années avant l’achèvement de la carte, aurait également constitué une riche source de réfugiés ayant beaucoup voyagé, sans doute prêts à échanger leurs histoires contre du pain ou de la bière ». Non seulement la création physique de la carte a nécessité une équipe de collaborateurs, mais la collecte de son contenu s’est appuyée sur l’équivalent du quinzième siècle du crowdsourcing.
Malgré son appartenance religieuse au monastère de San Michele, les efforts de Fra Mauro ont abouti à une représentation radicale du monde sans précédent. Rompant avec la tradition religieuse, il n’a pas placé Jérusalem au centre ; « le jardin d’Eden a été relégué dans une case latérale, sans être représenté dans un emplacement géographique réel ». Son scrupule a fait de lui le premier cartographe « à représenter le Japon comme une île, et le premier Européen à montrer que l’on pouvait faire le tour de l’Afrique à la voile ». Si sa carte était « la plus précise jamais réalisée à l’époque », ses plus de 3 000 annotations contiennent de nombreuses histoires à dormir debout, souvent de véritables géants. Cette mappemonde s’inscrit dans un carré de 223 centimètres de côté,à l’intérieur duquel se trouve un cercle de 196 centimètres de diamètre. Elle se compose de 3000 inscriptions (dont environ deux cents sont insérées dans des cartouches complexes, contenant des informations extraites de nombreux auteurs anciens et récents, les autres étant de simples toponymes) et de centaines d’images.
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L’éxécution de cette carte circulaire dura entre 1448 et 1453 et elle fut exposée tout d’abord en 1460 dans l’église du monastère camaldule San Michele in Isola, puis, à partir de 1655, dans la bibliothèque de cet établissement religieux. Confisquée à la suite de la suppression du monastère, en 1810, elle fut installée à Venise même, dans la bibliothèque Saint-Marc. Il s’agit vraisemblablement d’une copie partiellement réalisée par son assistant Andrea Bianco, navigateur-cartographe.
Le roi Alphonse V de Portugal commanda une copie de la carte. Cette copie, envoyée à Lisbonne en avril 1459, a disparu. Une lettre du législateur de Venise accompagnait la carte. Elle s’adressait au prince Henri le Navigateur, l’oncle d’Alphonse V. Elle encourageait le prince à continuer de financer les voyages d’exploration.
Fra Mauro mourut l’année suivante pendant qu’il faisait une copie de la carte pour la République de Venise, et la copie fut terminée par Andrea Bianco. L’existence de cette copie, exposée dans le palais Medici-Riccardi à Florence, est attestée jusqu’en 1494, date à laquelle on perd sa trace.
En 1807, la Compagnie des Indes orientales en commande une reproduction à taille réelle, actuellement conservée à la British Library.