Les Exultet, créés au cours d’une période de 300 ans (10e au 13e siècle) dans le sud de l’Italie, sont utilisés un jour par an : le dimanche de Pâques. Ces manuscrits combinent mots, musique et images pour créer une expérience multimédia captivante centrée sur le thème joyeux du retour de la lumière dans le monde.
L’Exultet est avant tout une hymne, composée d’un prologue et d’une préface (c’est-à-dire une prière chantée en style solennel), chantée lors de la célébration de la veillée pascale. Elle est écrite strictement en latin, et son nom provient d’ailleurs du premier mot du verset qui ouvre le prologue : Exsultet iam angelica turba caelorum (littéralement » Que saute de joie [la foule des anges du ciel…] « ). Connu également sous le nom de Preconium (qui signifie « proclamation »), il consiste en un éloge du cierge (laus cerei), visant à transmettre le message du salut à travers des images lyriques imprégnées de mysticisme.
Les Exultet en rouleaux n’existaient que dans le sud et le centre de l’Italie ; les 28 exemples conservés appartiennent au 10e au 13e siècle. Seuls deux d’entre eux ne sont pas illustrés. Leur origine reste pour l’instant inexpliquée.
La consécration solennelle du cierge pascal (benedictio cerei), suivie de la consécration de l’eau baptismale (benedictio fontis), est attestée depuis la fin du 4e siècle. L’action de grâces à la lumière remonte à l’ancienne coutume d’allumer des lumières le soir (χαῖρε ἱερὸν ϕῶς). Les plus anciens formulaires de consécration datent de la fin du 4e siècle. Dans de nombreux textes courants, on trouve une « louange de la cire » détaillée, dans laquelle est incluse une « louange de l’abeille » (d’après Virgile, Georgica IV, 149 sqq.). Face aux nombreux autres formulaires de consécration, c’est finalement l’Exsultet qui s’est imposé. Il a été compilé d’après Ambroise, qui n’entre pas en ligne de compte comme auteur, probablement en Italie du Nord.
À ce chant liturgique, principalement en Italie du Sud entre le Xe et le XIVe siècle, est liée une coutume destinée à susciter intérêt et admiration pendant des siècles : la transcription de l’hymne sur de longs rouleaux constitués de feuilles de parchemin cousues entre elles. La particularité de ces objets prestigieux réside cependant dans leur conformation particulière. Un côté du rouleau placé sur le pupitre de l’ambon offrait au diacre le texte de l’exultet, afin qu’il dispose des paroles à entonner pendant le chant. L’autre extrémité, en revanche, progressivement déroulée vers l’assemblée, était enrichie de miniatures illustrant le message véhiculé par l’hymne lui-même.

Le diacre bénit le cierge pascal et tient de la main gauche le rouleau de l’Exultet qu’il va chanter
La valeur médiatrice de ces rouleaux est évidente : les images permettent de combler le fossé entre la langue liturgique (le latin) et la langue du peuple (la langue vernaculaire). Le contenu de l’hymne était donc également compris par les fidèles grâce à l’immédiateté des représentations qui, comme des images en séquence, s’enchaînaient simultanément avec l’écho des mots prononcés par le diacre, les traduisant iconographiquement pas à pas.
L’illustration des Exultet est à l’origine une pure illustration de mots, comme le montrent précisément les exemplaires les plus anciens (surtout Rome, Bibl. Vat., cod. lat. 9820) ; c’est pourquoi les différences entre les versions du texte entraînent des différences dans l’illustration.
Le rouleau Exultet de la British Library (Add MS 30337) a été réalisé à l’abbaye bénédictine de Monte Cassino vers 1075-1080. Cette ancienne abbaye a été fondée par saint Benoît, père de l’ordre bénédictin, vers 529. L’utilisation de rouleaux d’Exultet est une tradition qui remonte aux premières pratiques bénédictines de la région, tandis que le style des peintures de l’Add MS 30337 a été influencé par des œuvres byzantines proches de l’époque contemporaine.

Le rouleau commence par une image du Christ trônant et adoré par des anges, avec une bannière qui dit « Lumen xpisti lumen xpi lumen xpi » (lumière du Christ, lumière du Christ, lumière du Christ), soulignant le message central du rituel, à savoir que la résurrection du Christ à Pâques est le retour de la lumière dans le monde.

Le texte célèbre le renouveau de la vie au printemps, illustré par une personnification de la Terre-Mère (Tellus Mater). Elle est représentée dans l’enluminure sous la forme d’une femme nue, les bras écartés dans un geste d’amour, entourée de plantes et nourrissant une vache et un serpent sur ses seins. D’après l’imagerie classique, elle représente l’abondance naturelle et la bonté de la Terre.

Après la Terre-Mère, on trouve une image de l’Église-Mère (Mater Ecclesia), où la juxtaposition des deux mères allégoriques suggère une éducation à la fois mondaine et spirituelle. Comme l’annonce le texte, l’Église mère est en fête et parée d’éclat. Elle est représentée richement vêtue comme une impératrice, tenant une église et entourée de fidèles.

Le texte rappelle ensuite tous les événements qui rendent la veille de Pâques si glorieuse, en déclarant : « C’est la nuit qui a purifié les ombres du péché avec une colonne de lumière » (Hec igitur nox est que peccatorum tenebras columne illuminatione purgauit).
Comme il l’explique, lors de la fête de Pâques, Dieu a délivré les Israélites de la captivité en Égypte en séparant la mer Rouge. La veille de Pâques, le Christ est descendu aux enfers et a racheté les justes par le déchirement de l’enfer, annulant le péché d’Adam et d’Ève. C’est au cours de cette nuit que la résurrection du Christ a eu lieu. Chacun de ces événements est illustré dans le rouleau.

Ensuite, le diacre demande à Dieu d’accepter l’offrande du cierge pascal, puis loue longuement les abeilles qui ont produit sa cire. Le texte annonce que « l’abeille surpasse tous les autres êtres vivants soumis à l’homme » (Apis ceteris que subiecta sunt homini animantibus antecellit).
S’inspirant des Géorgiques de Virgile, le texte décrit comment l’abeille émerge au printemps et se met immédiatement au travail, cueillant des fleurs, construisant une ruche, fabriquant du miel, formant de la cire et s’occupant des jeunes. Les abeilles symbolisent ainsi parfaitement le printemps et la communauté qui travaille ensemble pour le bien commun.

Les abeilles sont également louées pour leur chasteté, que le texte relie à la Vierge Marie, dont la maternité chaste a rendu possibles les événements de Pâques.

L’Exultet se termine par une prière pour la fin de la nuit noire et pour la montée de l’étoile du matin qui ne se couchera jamais. Il demande à Dieu d’accorder la paix et la joie au clergé, au pape, à l’évêque, à toute l’assemblée et à l’empereur.
Dans l’église, nous pouvons imaginer le diacre arrivant à la fin de la prière avec la lumière du cierge pascal nouvellement allumé scintillant sur l’or du rouleau de l’Exultet. Les images lumineuses qui descendent de l’ambon donnent vie aux thèmes du texte. Pour les personnes rassemblées dans l’église et partageant l’expérience, le rouleau a renforcé les messages joyeux d’espoir, de renouveau et d’éclat de la célébration de Pâques.
Les facsimiles d’autres Exultets permettent de voir le deroulement des manuscrits
L’exultet de Salerne n’a pas de texte. Ce fait semble contredire tout ce qui a été dit jusqu’à présent sur la nature de ces rouleaux. Pourtant, à part le début du Preconium transcrit sur le premier, les dix autres feuillets comportent chacun deux plaques (à l’exception du huitième feuillet) séparées par une bande polychrome. Il est peu probable que le texte ait été perdu au cours du temps ou effacé à la suite d’erreurs de restauration, tandis qu’il est plausible, précisément en raison de cette structure, que l’hymne n’ait jamais été copié sur le rouleau, que ce soit dans le cadre du cycle de l’image ou en alternance avec les plaques.
La beauté de l’Exultet, produit précieux qui réunit des intérêts philologiques et historiques, permet de se plonger dans le lointain Moyen Âge imprégné d’une spiritualité prégnante et doté d’une capacité enviable : celle de dériver des produits raffinés de haute valeur artistique à partir de nécessités pratiques.
Sara D’Agostino
https://medievaleggiando.it/exultet-i-rotoli-che-si-guardavano-al-contrario/