Tomographier une tablette de malédiction gauloise

Des fouilles archéologiques réalisées entre 2022 et 2024 sur le site de l’ancien hôpital Porte Madeleine d’Orléans par le Service Archéologique de la ville d’Orléans ont permis de mettre au jour une nécropole de l’époque romaine jusqu’alors inconnue. Les sépultures qu’elle contient ont livré 22 tablettes de défixion (du latin defixio, envoûtement ou malédiction) en plomb, pliées ou enroulées sur elles-mêmes.
Afin d’avoir accès au texte gravé sur ces tablettes sans risquer de les détériorer en les dépliant, les archéologues ont fait appel à l’équipe de la ligne PSICHE.

Plan général de la nécropole antique de l’ancien hôpital Porte Madeleine et localisation des sépultures – Service Archéologique de la Ville d’Orléans, 2024

Cette nécropole, par ses caractéristiques, présente de nombreuses particularités par rapport à d’autres nécropoles de la même période : toutes les sépultures sont des inhumations, installées en une unique rangée le long d’un mur parcellaire, sur au moins 140 m de longueur. Tous les individus mis au jour sont des adultes de sexe masculin, installés dans des cercueils de bois dont les clous en fer ont été retrouvés. L’identité des défunts reste encore un mystère, mais le plan particulier de la nécropole et l’homogénéité des gestes funéraires incite l’équipe archéologique à proposer l’hypothèse d’un regroupement lié à un type de population particulier ou à une corporation : des édiles, des magistrats, une corporation marchande ?

L’autre grande particularité de cette nécropole est la présence de 22 tablettes de malédiction. Ces petites tablettes en plomb, dites aussi tablettes de défixion, sont gravées d’inscriptions maudites appelant à toutes sortes de sortilèges : sortilèges amoureux, malédiction d’un concurrent commercial ou d’un rival. Elles sont ensuite repliées et déposées dans des puits ou des tombes. La présence d’autant de tablettes dans cette nécropole pourrait être le signe d’un groupe social particulier lié aux pratiques de la magie.  17 tablettes n’ont pas encore livré leurs secrets, mais ces objets sont très fragiles, c’est pourquoi un projet utilisant le Synchrotron Soleil est à l’étude, pour déchiffrer ces tablettes sans avoir besoin de les déplier.

Deux tablettes issues d’une première fouille du site en 2022 ont été dépliées et sont inscrites en cursives latines, l’une avec un texte en langue gauloise et l’autre avec un texte en latin.

Tablette de défixion après dépliage, avec calque de dessin du texte en alphabet cursif latin et langue gauloise. – SAVO

Le processus d’ouverture des tablettes, réalisé par une restauratrice du patrimoine, constitue à chaque fois une petite prise de risque pour l’intégrité de l’objet, avec notamment l’apparition de craquelures du métal à l’emplacement des pliures ce qui complique la tâche de transcription du texte par la suite.

à gauche, tablette de défixion retrouvée pliée dans la sépulture F2199, la règle pour donner l’échelle mesure 5 cm (© Service d’archéologie, 2023) ; à droite, tablette de défixion de la sépulture F2199 dépliée et restaurée, photographiée au moyen de la technique RTI* (© Antoine Cazin, La Fabrique de Patrimoine en Normandie, 2023).

L’idée était de tenter une lecture d’une des tablettes de défixion, sans même avoir à la déplier, au moyen de la tomographie à rayons X et de la ligne PSICHÉ du synchrotron SOLEIL, une technique d’analyse comparable à un scanner médical. Après l’enregistrement d’images 3D, le « déroulement virtuel » de l’objet tomographié est réalisé grâce à un long travail de reconstruction des images planes, qui est basé sur l’adaptation spécifique à l’objet d’un programme de traitement d’images.

Le rouleau, à gauche, est fixé sur le porte échantillon dans la cabane d’expériences de la ligne PSICHE (à droite) après avoir été protégé dans une enveloppe plastique pour éviter tout risque de choc. Le porte-échantillon est ensuite piloté à distance de façon à positionner et faire tourner le rouleau dans le faisceau de rayons X.

L’une des défixions les plus célèbres provient du British Museum. Elle porte cette inscription :
« Je maudis Tretia Maria, sa vie, son esprit, sa mémoire, son foie et ses poumons, ainsi que ses mots, ses pensées et sa mémoire… »
Cette formule, à la fois inquiétante et détaillée, illustre bien l’intensité émotionnelle qui accompagne ces rituels.

Près de 2000 tablettes de malédiction ont été découvertes à travers le monde gréco-romain, de la Méditerranée à la Gaule. Leur utilisation s’étend sur plus d’un millénaire, du VIe siècle av. J.-C. au VIe siècle apr. J.-C. Généralement enfouies dans des tombes, des sanctuaires ou même des puits, elles visaient à établir un lien direct avec les divinités souterraines ou chthoniennes, perçues comme ayant le pouvoir d’exaucer ces requêtes.

Photographie : British Museum

Contrairement aux offrandes votives, ces tablettes ne sont pas des dons faits aux dieux en échange d’un service. Les inscriptions laissent penser qu’elles cherchent plutôt à « céder » des éléments de la vie de la personne maudite aux divinités, comme son esprit, sa mémoire ou sa santé.

Cependant, ces intentions rituelles ne relèvent pas uniquement d’un désir de nuire. Souvent, les malédictions visaient à réparer un tort perçu ou à restaurer un équilibre. Par exemple, une tablette pouvait être utilisée pour punir un voleur ou résoudre une querelle amoureuse en invoquant une justice divine.

La réalisation d’une défixion suivait un protocole précis :

  • La gravure d’un texte détaillant la malédiction, incluant parfois des noms, des descriptions physiques ou des listes de parties du corps.
  • Le dépôt de la tablette dans un lieu sacré ou symbolique, comme une tombe ou un temple.
  • La prononciation d’une incantation pour accompagner l’acte.
Photographie : British Museum

Si ces artefacts sont bien documentés, leur interprétation reste sujette à débat. Certains chercheurs, comme Stuart McKie, professeur à l’Université de Manchester, estiment que ces rituels impliquent une soumission et une déférence envers les divinités. Plutôt que de simplement « vouer » les personnes maudites aux dieux, il s’agirait d’une tentative de négociation divine pour modifier le destin.

Les tablettes de malédiction nous rappellent que l’Antiquité, loin de se limiter à des monuments et des héros, était aussi peuplée d’individus ordinaires cherchant à influencer leur destin à travers des pratiques mystiques. Ces défixions,

Pour consulter la base de données des défixions,

Via https://www.synchrotron-soleil.fr/fr/actualites/une-tablette-denvoutement-depoque-romaine-etudiee-par-tomographie-aux-rayons-x-sur-la

https://www.histoireodyssee.com/2025/01/17/archeologie-les-tablettes-de-malediction/