On dit que Chartres possède l’une des collections de vitraux médiévaux les plus complètes au monde. Les vitraux ont été épargnés pendant les guerres de religion du XVIe siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elles ont été retirées et entreposées dans la campagne environnante. Après la guerre, les vitraux ont été réinstallés.

Vitrail de saint Nicolas (baie 14)
Le vitrail de saint Nicolas est situé dans la partie sud du déambulatoire, dans la « chapelle des confesseurs », autrefois appelée « chapelle de Saint Nicolas » en raison de la popularité de ce saint et du caractère central que le vitrail y occupe.
Le vitrail est inscrit aux monuments historiques dès son premier inventaire de 1840 ; il fait partie de la « chatoyante parure de vitraux des XIIe et XIIIe siècles [qui] en font un chef-d’œuvre exceptionnel et remarquablement bien conservé » et pour laquelle la cathédrale est classée au patrimoine mondial. Il est numéroté 014 dans le Corpus vitrearum. Il partage cette chapelle avec quatre autres lancettes : saint Thomas Becket (la plus à droite), saintes Catherine et Marguerite (au centre droit), saint Rémi (à gauche) et une grisaille (la plus à gauche) représentant le miracle des trois petits enfants.

Le vitrail suit un manuscrit du XIIe siècle provenant de l’abbaye Saint-Laumer de Blois, dont l’abbé était chanoine de Chartres.
Deux autres verrières de la cathédrale sont consacrées à la légende de saint Nicolas : les baies 39 (dans la nef en face de la chapelle de Vendôme) et 29a (lancette droite de la chapelle Notre-Dame du Pilier, dans le nord du déambulatoire). Il orne également la grisaille de la chapelle des confesseurs, par le miracle des trois enfants (baie 10). Il est de plus représenté dans la baie 137 des verrières hautes de la nef.
Selon les ressources iconographiques mises à disposition par le Centre André-Chastel, il serait, hormis le Christ, le personnage le plus représenté dans la cathédrale (446 occurrences).
Grisaille du Miracle de saint Nicolas (baie 10)
Elle occupe le centre de la Chapelle dite des Confesseurs, l’une des chapelles rayonnantes du chœur, entre le vitrail de la Vie de saint Sylvestre (baie 8) et celui de la Vie de Saint Rémi (Baie 12). Elle appartient donc aux 11 baies qui, sur les 37 du chœur, ont vu leur ancien vitrail coloré du XIIIe siècle — le chœur a été vitré entre 1210 et 1235 — remplacé par du verre incolore, selon le goût du jour, mais aussi pour faire entrer plus de lumière dans le déambulatoire.
Elle date donc de la fin du 13e siècle, époque où a été créé le réseau de losanges, de cercles et de quadrilobes entrelacés, dessiné à la grisaille sombre, et les losanges et ronds en verres de couleur jaune et rouge. La rigueur de ce réseau géométrique est corrigé par la souplesse des sinuosités de tiges qui courent en se divisant en feuilles à trois folioles pointues. Le vitrail est encadré d’une bordure de château de Castille jaune sur fond rouge.
Plus d’un siècle plus tard, exactement en mars 1416, ce vitrail incolore a été enrichi par Jehan Perier d’une scène de la Légende de saint Nicolas. Ce même Jean Perier, l’un des six ouvriers jurés de la fabrique, faisait partie de, ou plutôt dirigeait l’équipe de verriers chargés de la restauration générale au cours de laquelle on enleva les cadres de bois où avaient été placés les vitraux à l’origine, et qui s’appliquèrent à suivre le style d’origine. C’est à l’occasion de sa restauration que ce vitrail a reçu cette scène de saint Nicolas.

La scène, reconnaissable immédiatement par tous, est celle du miracle de saint Nicolas ressuscitant les enfants mis au saloir. Très simple, elle n’occupe que trois panneaux et, dépourvue de tout arrière-plan et de tout décor, ne donne à voir que l’essentiel : le saint, le saloir, et les enfants qui en sortent.
Saint Nicolas, évêque de Myre, porte une aube (à large revers doré brodé de fleurs), une dalmatique rouge dont on ne voit que la partie basse et l’encolure dorée aux broderies d’argent ; par-dessus, une chasuble bleue où un orfroi jaune d’or trace le motif courant d’une bande médiane que croise un V scapulaire. Si on regarde avec attention cet orfroi , on y lit des lettres brodées formant le nom Nicolaus répété plusieurs fois.
« les vitraux hagiographiques ont moins pour fonctions de raconter une histoire que de rappeler la place théologique des saints dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’économie du salut ». Or chaque saint peut avoir, évidemment, plusieurs dimensions théologiques. Dans la nef, l’image de Nicolas est utilisée en tant que précurseur de la Passion, les prédicateurs faisant de lui l’exemple du jeûne dans l’attente de la Pâque. Dans la travée droite du choeur, au nord, Nicolas est le symbole de l’évêque protégeant le peuple contre le mal. Le voici ici dans sa fonction de chef de file des Confesseurs, ceux à qui l’Eglise reconnaît un rôle déterminant dans la construction de la foi. La tradition fait naître saint Nicolas à l’époque de Constantin et lui donne un rôle décisif dans la définition de la Trinité au Concile de Nicée: il est le garant du Credo trinitaire. Il s’agit certes d’une légende, mais ce qui importe ici est bien la relecture qui est faite de cette figure au Moyen Age et la place que les théologiens lui accordent dans la géographie du salut. «
(Centre International du Vitrail)
Nous passons des verrières 39 et 29a du début du XIIIe siècle qui comptent respectivement 20 et 27 panneaux, et de multiples scènes de la Vie du saint, à ce vitrail blanc aux deux ensembles colorés, le saint à droite, le saloir et ses trois occupants à gauche. Autrement dit, nous passons d’un récit d’une vie de saint (naissance, enfance, intronisation, miracles) peu ou pas lisible de loin (le miracle des trois clercs, par exemple, est au sommet du vitrail 29, invisible sans jumelles) aux personnages d’une vingtaine de centimètres, à un portrait d’un saint, d’un mètre de haut peut-être, parfaitement visible, et accompagné de son attribut distinctif, le saloir aux enfants.
Abandonnant les péripéties édifiantes mais complexes d’une bande dessinée mettant en image la Légende dorée, l’artiste choisit de dresser l’icône majestueuse d’un saint, dans le passage de l’hagiographie (vie de saint) à l’hagiotype, épure simplifié et archétypale du saint, telle qu’elle va désormais se fixer et être propager sous forme de statues et d’images dans chaque paroisse. Cette représentation fait désormais fonction de logo, et chacun, même s’il ignore tout de la vie de saint Nicolas, identifiera le saint par son baquet aux enfants. Ce baquet qui n’était qu’un simple détail de l’histoire, et dont l’aspect pouvait varier, devient, définitivement, mais sans que rien ne l’indique dans l’image, un « saloir » en forme de tonneau ou de charnier : de meuble, il devient attribut. C’est une révolution dans l’iconographie.
Les éléments dramatiques de la légende, le dépeçage, le thème même de la mort disparaissent aussi. Le vitrail ne montre que le saint traçant une bénédiction salvatrice, et trois « enfants » nus, gaillards, sortant du baquet comme s’ils sortaient de leur lit ; « innocents comme l’enfant qui vient de naître », ignorant tout du drame auquel ils échappent. C’est moins à une résurrection que nous assistons (puisque rien n’indique une mort préalable) qu’à un frais éveil sous l’influence du saint.
Par Jean-Yves Cordier, via https://www.lavieb-aile.com/article-vitrail-de-chartres-grisaille-du-miracle-de-saint-nicolas-baie-n-10-123097674.html