Dans la grotte de la Roche-Cotard (Indre-et-Loire), des gravures pariétales, réalisées avec les doigts par l’Homme de Neandertal, viennent d’être datées de plus de 57 000 ans.
C’est une grande découverte, française de surcroît, qui relance un sujet capital : la naissance de l’art, et par là-même, une grande question : qui, de par le monde, fut le premier artiste ? L’Homme moderne, ou, tout au contraire, notre lointain cousin Neandertal ? La communauté des chercheurs est très divisée sur ce thème, avec ses « progressistes », pro-néandertalien, qui ne doutent pas des facultés symboliques de leur champion, face aux « traditionalistes » pro-sapiens sapiens.
La grotte de la Roche-Cotard
Mise au jour en 1846, la grotte de la Roche-Cotard est restée inaccessible jusqu’en 1912, date à laquelle le propriétaire du terrain en a dégagé l’entrée colmatée. Depuis 1976, Jean-Claude Marquet, y poursuit des fouilles. La grotte appartient à la culture du Moustérien, caractéristique de Néandertal et les niveaux fouillés sont datés de 75 000 ans.

Les gravures
Les gravures sont localisées sur une paroi d’une douzaine de mètres de longueur, couverte, dans sa partie supérieure, d’un mince film d’altération. Elles ont été réalisées sur le tuffeau, avec les doigts, soit par simple contact sur la surface, soit par un déplacement du doigt. Elles représentent des motifs non figuratifs, certains plutôt simples comme des impacts de doigts entourant un grand fossile inclus dans la roche, ou formant de longs tracés recouvrant une vaste surface, certains plus élaborés : un panneau possède des tracés en forme d’ogive, un autre, triangulaire, singulier par sa structuration et l’application avec laquelle il a été réalisé, semble démontrer une évidente intentionnalité de la part de son auteur.

Jean-Claude Marquet « Ces gravures sont dans la troisième salle de la grotte, qui est très petite. Elle ne mesure que 33 mètres de long, et, est largement ouverte à l’extérieur maintenant depuis qu’elle a été fouillée en 1912. Lorsque j’ai pénétré dans cette grotte entre 1976 et 1978, j’ai vu ces tracés digitaux sur les parois, bien sûr, mais en 1978, c’était beaucoup trop tôt pour contacter un grand spécialiste de l’art préhistorique qui m’aurait pris pour un fantaisiste, et donc, je suis resté muet sur ces gravures à l’époque. »
Une grotte fermée depuis 57 000 ans
Les récentes datations mettent en évidence que la grotte a été fermée par le débordement de la Loire, il y a environ 57 000 ans, soit une période où seul Neandertal vit en Europe. Ces découvertes montreraient donc que les « gravures pariétales » ne sont pas le propre d’Homo sapiens.

Jacques Jaubert « On a exactement le même niveau de complexité de part et d’autre de la Méditerranée, chez Néandertal et chez les hommes modernes. Donc, effectivement, on aurait pu s’attendre à des productions graphiques plus réalistes, mais, en fait, le temps de la représentation du monde n’est pas encore arrivé. Que ce soit en Afrique, en Europe, au Proche-Orient ou dans les plaines russes, ce n’est pas avant 40/45 000 ans que l’on va commencer à trouver des représentations figuratives. Et là, on est avant le figuratif, que l’on soit moderne ou néandertalien.«
« Art néandertalien » ?
On connaissait déjà quelques traits gravés attribués à Neandertal dans la grotte de Gorham’s cave à Gibraltar, en Espagne. Trois grottes, La Pasiega (Cantabrie), Maltravieso (Estrémadure) et Ardales (Andalousie) possèdent des parois peintes recouvertes d’un voile de calcite vieux d’au moins 64 800 ans. Toutefois, le débat sur l’art néandertalien ne date pas d’hier. Si ces représentations de la Roche-Cotard pourraient être l’expression d’une pensée symbolique, les chercheurs sont extrêmement prudents. La question est donc : « est-ce de l’art ?«

Jacques Jaubert « On ne peut pas affirmer que ces manifestations graphiques sont vraiment symboliques, ça peut être des décomptes, ça peut être n’importe quoi de non symbolique, mais, il y a capacité à dessiner, à graver et représenter quelque chose qui n’est pas encore le monde, mais une partie non figurative du monde.«
Eric Robert « Cette connotation du terme « Art » est vraiment très forte et souvent elle amène à trop de mauvais procès ou de mauvais jugements. Il faut savoir apprécier déjà, tout simplement, ce que nous ont révélé ces incroyables parois de la Roche-Cotard. Il y a une chose assez étonnante avec ses parois, c’est que non seulement on a ces décors, mais, ces différents tracés se succèdent à un même niveau et on peut les suivre à l’entrée de la salle du Pilier. […] C’est quelque chose d’assez étonnant parce qu’on y voit aussi comme une recherche, peut-être, d’organisation dans cet espace. »
Avec
- Jean-Claude Marquet Chercheur associé au Laboratoire Archéologie et Territoires (CNRS) de l’Université de Tours.
- Jacques Jaubert Préhistorien et archéologue, professeur de préhistoire à l’Université de Bordeaux-I.
- Éric Robert Archéologue, préhistorien, spécialiste de l’art rupestre préhistorique, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).