Un jour de mars 2024, alors qu’un navire procédait à des travaux de dragage pour renforcer les berges du cours d’eau du Linschoten (province d’Utrecht, Pays-Bas), la pelleteuse a remonté un bloc d’argile d’où émergeait un long objet métallique, rapidement identifié comme une épée. Les rayons X ont montré que l’arme, datée entre la fin du Xe et le début du XIe siècle, était exceptionnellement conservée malgré les conditions humides de stockage pendant près de 1 000 ans. Après un minutieux travail de nettoyage, d’expertise et de conservation, elle a officiellement été remise au Rijksmuseum van Oudheden (musée national des Antiquités) de Leyde en mai 2025.

L’analyse de l’épée a révélé des caractéristiques remarquables : une large garde (17 centimètres) ; un pommeau en forme dite « en noix de Pará » ; et une lame (1 mètre) finement décorée de fils d’un alliage de cuivre doré. Ces derniers forment un « soleil noir » (zwarte zon), variante de la croix solaire associée tour à tour à la terre en Grèce antique, puis au christianisme dans la Norvège médiévale – avant d’être employée comme symbole par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais également, des « nœuds sans fin » (doorlopende knoop) avec cinq carrés imbriqués dans un cercle, symbole de force, d’amitié et de protection à l’époque viking (793 à 1066 apr. J.-C.). Des décorations complexes, qui reflètent la fusion des traditions païennes et chrétiennes en cette période.
Ces éléments stylistiques permettent de dater l’épée courte (kortzwaard) – souvent appelée épée viking ou franque – entre 1050 et 1150 apr. J.-C. La région d’Utrecht est alors au cœur de rivalités entre l’évêché local et les comtes de Hollande et de Flandre. Jusqu’au début du XIe siècle, les incursions vikings représentent aussi une menace régulière. Les épées de cette période sont considérées comme des armes d’élite – bien que les formes aient été simplifiées plus tard au Moyen Âge, pour une production en série. Celle du Linschoten a probablement été forgée à proximité ; les forgerons du bassin fluvial et de la Rhénanie allemande étaient particulièrement réputés pour leur maîtrise du métal.


L’arme témoigne aussi d’une transition dans les pratiques militaires médiévales. En cette époque, le combat évolue du coup vertical porté depuis un cheval vers la technique de l’estoc, porté avec la pointe et visant les failles des armures ennemies, plus rigides à partir du XIVe siècle (les harnois). Les rapières de la Renaissance, par exemple, sont presque exclusivement conçues pour l’estoc. Mais l’épée du Linschoten, rigide et pointue, maniable à une main, illustre parfaitement le maintien d’une double fonctionnalité.
Après plus d’un millénaire, elle s’est trouvée exceptionnellement bien préservée. Hormis la poignée en bois et les éventuels éléments en cuir disparus avec le temps, sa lame de fer est restée quasiment intacte. Les analyses radiographiques ont même permis de distinguer des fragments résiduels du manche originel. Un miracle de conservation, qui s’explique par les conditions anaérobies (avec peu ou pas d’oxygène) de l’argile humide de la rivière, qui ont empêché sa corrosion. Dès sa découverte, elle a toutefois subi un processus de dix semaines, comprenant l’extraction du sel et un traitement au tanin pour stabiliser le métal.
Curieusement, aucun fragment de fourreau n’a été retrouvé, suggérant que le double tranchant pourrait avoir été intentionnellement déposé dans l’eau, selon des pratiques rituelles connues au Moyen Âge. En cet âge, les épées étaient souvent les biens les plus précieux de leurs propriétaires. Certaines suivaient leur maître jusque dans la tombe, en témoignent plusieurs trouvailles réalisées au Pays-Bas ces dernières années. D’autres, comme celle-ci, étaient offertes aux eaux, y trouvant parfois, par le hasard de la nature, une longue vie.
La rare pièce, prêtée au Rijksmuseum van Oudheden de Leyde par la commune de Montfoort et la Fondation du domaine de Linschoten, copropriétaires du trésor, va désormais être affichée dans la vitrine des nouvelles acquisitions du musée jusqu’à fin septembre 2025.
Via https://www.geo.fr/histoire/l-oeil-de-geo-de-fascinants-symboles-sur-une-rare-epee-medievale-retrouvee-aux-pays-bas-227109 / https://www.rmo.nl/tentoonstellingen/tijdelijke-tentoonstellingen/zwaard-van-linschoten/