L’enquête passionnante sur Guglielmo Libri, le voleur de livres du XIXe siècle

Guglielmo Libri (1802-1869), brillant mathématicien italien, s’est rendu célèbre au xixe siècle en dérobant des centaines de manuscrits et des milliers d’imprimés dans les bibliothèques de France, alors qu’il était chargé de les visiter pour contribuer au Catalogue général des manuscrits car il avait aussi de remarquables compétences en codicologie, paléographie, bibliographie matérielle..

La bibliothèque de l’École nationale des chartes cherche à acquérir des manuscrits inédits (témoignage de première main) sur cette grande affaire de vol de livres.

Pour collaborer: https://ledonenligne.fr/collectes/campagne-libri

Soupçonné dès le début des années 1840 mais bénéficiant d’une position institutionnelle prestigieuse (membre de l’Académie des sciences, professeur à la Sorbonne et au Collège de France) et de solides soutiens politiques, il s’enfuit à Londres au début de l’année 1848, d’où il ne cessa de clamer son innocence, appuyé par de grandes personnalités françaises et européennes. Il fut finalement condamné par contumace le 22 juin 1850 mais, faute d’accord d’extradition entre la France et l’Angleterre, il ne purgea jamais sa peine de prison et regagna l’Italie pour y mourir, ruiné, en 1869.

L’enquête menée pour prouver sa culpabilité ne laisse cependant aucun doute sur ses agissements, vols savamment orchestrés et falsifications sophistiquées des exemplaires dérobés, luxueusement décrits dans les différents catalogues de vente qu’il produisit à partir de 1847 ou négociés de façon confidentielle avec de riches collectionneurs. Le préjudice pour les bibliothèques françaises est immense, comme Léopold Delisle, chartiste et alors administrateur général de la Bibliothèque nationale, l’a magistralement démontré dans les années 1880.

Un siècle plus tard, au début des années 1980, a été découvert par hasard un autre dossier qui, dès la fin des années 1840, prouvait la culpabilité de Libri et sur lequel Delisle s’est largement appuyé : il réunit les notes accumulées par les trois jeunes chartistes chargés à partir de 1848 de mener l’enquête pour confondre Libri. 

Ces deux épais volumes manuscrits d’environ 1500 pages (le troisième étant a priori perdu) comportent notamment la correspondance échangée entre les trois chartistes – Henri Bordier, Ludovic Lalanne et Félix Bourquelot -, mais aussi avec leurs divers interlocuteurs, les notes prises lors des visites effectuées auprès des conservateurs, bibliothécaires, libraires, commissaires-priseurs, les minutes de leurs rapports officiels (dont les originaux ont disparu dans l’incendie de la Commune en 1871). On y suit au jour le jour les péripéties de cette enquête hors-normes, exigeante et difficile, tant Libri était protégé en hautlieu, au premier chef par François Guizot, mais aussi par Prosper Mérimée ou Paul Lacroix. 

De cet ensemble passionnant, le libraire André Jammes qui l’avait acquis au début des années 2000 a tiré un premier livre, assez court, intitulé Libri vaincu, mais il reste encore une ample matière à exploiter. 

Il s’agit d’un document exceptionnel, extrêmement riche pour l’histoire de l’École des chartes et les compétences qu’on y développe, mais aussi témoignage de première main sur une des affaires les plus retentissantes du siècle