Deux méthodes pour les « recupérer » pour la Journée Internationale des forêts.
Francis Hallé: recréer une forêt primaire européenne
Une forêt primaire est une forêt qui n’a été ni défrichée, ni exploitée, ni modifiée de façon quelconque par l’homme. C’est un écosystème qui a mené à son terme les différents cycles de sa genèse. C’est un joyau de la nature, un véritable sommet de biodiversité et d’esthétisme.
En matière d’écologie, une forêt primaire, c’est une forêt qui est à son maximum à tous les niveaux. On ne peut pas imaginer mieux. C’est le maximum de captation et stockage du CO2 atmosphérique dans des troncs devenus énormes, le maximum de fertilité des sols, le maximum d’alimentation des nappes phréatiques par de l’eau pure, le maximum de résilience de la forêt… Et le plus important : le maximum de biodiversité.
C’est à partir du constat alarmant des menaces qui pèsent sur les dernières forêts primaires que le biologiste et spécialiste des arbres Francis Hallé en est arrivé à concevoir un projet d’ampleur : rien de moins que la recréation d’une forêt primaire européenne avec l’Association Francis Hallé pour la foret primaire.
Pour recréer une forêt primaire, il faut du temps et de l’espace : 70 000 hectares pour voir s’y développer une faune de grands animaux sylvestres d’après les zoologistes. Soit l’équivalent de la surface de l’île de Minorque. Bien entendu, 70 000 hectares, cela semble gigantesque, mais c’est aussi la surface de Białowieża, et au fond ce n’est qu’un carré de vingt-six kilomètres de côté. Si la surface est imposée par la faune, la durée est liée aux arbres eux-mêmes, car pour créer une forêt primaire à partir d’une forêt secondaire, il faudra attendre que les arbres pionniers qui la constituent grandissent, vieillissent et meurent. Ensuite, une deuxième vague d’arbres, les post-pionniers, devront s’installer et grandir, vieillir, puis mourir à leur tour. À l’ombre des post-pionniers, pousseront les arbres de la vraie forêt primaire, et il faudra encore attendre que ceux-ci atteignent leurs dimensions maximales et ferment la canopée pour que la forêt primaire soit totalement constituée. Si l’on part d’un sol nu, ce processus prend mille ans, mais si l’on part d’une forêt secondaire de quatre cents ans, il ne reste plus que six siècles à attendre. Cela peut paraître beaucoup, surtout pour des politiques, mais pour un géologue, par exemple, six siècles c’est un clin d’œil. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas le choix, ces six siècles ne sont pas arbitraires, ils sont imposés par la nature. Personne au monde ne peut accélérer le processus. Voilà donc le projet : une forêt transfrontalière européenne, transgénérationnelle, qui mettra six siècles à se développer.
Francis Hallé

Deux territoires sont actuellement envisagés par l’association comme terrains de recherche pour le développement du projet : les Ardennes franco-belges et la région réunissant Vosges du Nord françaises et Rhénanie-Palatinat allemande. Ces deux territoires associent trois critères essentiels :
- un caractère transfrontalier, le projet étant fondamentalement européen, par son échelle, son caractère transgénérationnel et son rayonnement ;
- une tradition et une identité forestières fortes, avec des massifs déjà anciens ancrés dans la culture des habitant·e·s, dans des zones de basse altitude où poussent naturellement des feuillus tempérés, partout menacés par le remplacement d’espèces considérées plus « productives » ;
- des forêts en majorité publiques, le projet ne visant pas l’achat de terres, mais bien la protection de forêts relevant déjà du domaine public : il est déjà reconnu d’intérêt général et s’inscrit pleinement dans cet objectif.

Naturellement, le contexte socio-économique des deux régions étudiées constitue un axe central pour le projet, qui contribuera à lui donner sa forme définitive : c’est tout l’enjeu d’une co-construction avec les habitant·e·s concerné·e·s, les scientifiques, les institutions, les associations… L’association Francis Hallé pour la forêt primaire propose là aussi d’innover : le résultat final n’est pas donné à l’avance. Loin de parachuter un projet ficelé, le projet repose sur le dialogue et la co-construction. Il dote de temps et de moyens un large processus de concertation local, régional, national, européen, sans lequel rien n’est possible. L’exploration est un mot-clef de la démarche, au cœur de tous ses enjeux.
Le manifeste de l’Association: https://www.foretprimaire-francishalle.org/wp-content/uploads/2021/06/Manifeste-A4-FR_2021-webV2.pdf
Via https://www.foretprimaire-francishalle.org/le-projet/
La méthode Miyawaki
Akira Miyawaki, né en 1928 au Japon, a donné son patronyme à une méthode de reforestation spécifique. Expert en écologie végétale et spécialiste des forêts, ce botaniste s’est toujours intéressé à la nécessité de préserver les forêts indigènes et, par voie de conséquence, à l’obligation de restaurer et recréer des forêts sur des espaces urbains, péri-urbains, industriels aux sols dégradés.
La méthode Miyawaki consiste à recréer la végétation naturelle potentielle d’un site au travers d’indices contenus dans le sol. Les graines des essences autochtones identifiées sont élevées en pépinières dans des conditions d’acclimatation proches du futur environnement et plantées extrêmement densément sur site, de manière aléatoire, pour favoriser les processus de sélection et de coopération observés à l’état naturel. Après trois ans, la forêt est entièrement autonome et n’a plus besoin d’entretien.

Ces micro-forêts sont donc destinées à couvrir des espaces difficiles, souvent de périphérie urbaine (bord d’autoroute, ancien parking, friche industrielle, etc.) aux sols ingrats. Les étapes de mise en place de la méthode Miyawaki sont les suivantes :
- Fertilisation naturelle du sol (compost, fumier, terreau de feuilles) ;
- Choix des espèces natives repérées localement et récupération des graines ;
- Semis et germination en pépinière ;
- Mise en place lorsque le système racinaire est bien développé, avec une forte densité (30 à 50 plants/m²) mais sans alignement, de façon aléatoire, tout en respectant une complémentarité et un équilibre naturel entre les différentes essences : arbustes, arbres moyens et arbres de grande taille ;
- Arrosages et désherbages les 3 premières années, avant d’être considérée comme une micro-forêt autonome avec une forte concurrence entre les plants, en passe d’être mature 20 ans après sa plantation c’est-à-dire riche, dense et protecteur.
Miyawaki a expérimenté sa méthode dès les années 1970 au Japon sur des sites industriels d’aciéries, puis plus largement sur d’autres sites disséminés sur tout le territoire japonais (remblais en bordure littorale, éboulis, etc.). Il s’est ensuite essayé aux zones tropicales déforestées où les sols sont encore plus difficiles pour recréer un couvert végétal bénéfique : Thaïlande, Amazonie, Chili, Chine. Il a obtenu des résultats satisfaisants puisque les différentes strates forestières sont bien là et la composition microbienne du sol se rapproche de celle des forêts primaires.

Originaire du Japon comme son concepteur, la méthode Wiyawaki connaît un développement important en Europe de l’Ouest depuis cinq ans, ce qui est très récent, à l’initiative de l’entreprise belge Urban Forest, spécialisée dans la création de « forêts urbaines participatives 100 % naturelles et rapides selon la méthode Miyawaki ».
Elle a été mise en œuvre pour la première fois à Paris en mars 2018, par l’association Boomforest en partenariat avec la ville ; 1 200 plants d’une trentaine d’espèces ligneuses ont été plantés sur une portion de 400 m2 d’un talus du boulevard périphérique à la porte de Montreuil (XXe arrondissement). Une seconde opération du même type a été réalisée l’année suivante par le même organisme sur 500 m2 à la porte des Lilas (XXe arrondissement) ; puis, en 2020, deux autres opérations ont été menées sur 200 m2 dans le quartier des Hauts de Malesherbes (XVIIe arrondissement) et sur 250 m2 sur le campus de l’université de Nanterre.

En parallèle, l’association MiniBigforest a créé sa première microforêt Miyawaki à Sorrinières, près de Nantes, en décembre 2018 avec la plantation de 600 plants de 30 espèces différentes sur 200 m2. La même démarche a été menée par l’entreprise Trees Everywhere avec la plantation, en novembre 2019 à Boursay (Loir-et-Cher), de 3 000 plants de 30 espèces ligneuses différentes sur une parcelle de 1 000 m2 ; puis, en décembre 2020, de 2 400 végétaux sur une autre parcelle de 800 m2 dans la même commune rurale. Des actions similaires de création de microforêts urbaines ont été lancées en mars 2020 à Toulouse (plantation de 1 200 plants de 22 espèces locales sur 400 m2), puis en novembre 2020 à Bordeaux sur 240 m2 à l’emplacement d’un parking, opération qui s’inscrit dans le cadre d’un ambitieux plan de plantation de pas moins d’un million d’arbres sur le territoire de la métropole bordelaise. La région Grand Est est également fortement engagée dans cette dynamique. En réaction à la décision, en 2018, de construction du Grand Contournement Ouest de Strasbourg, l’association citoyenne Colibri Forest a entrepris, avec un budget de 3 000 euros, de planter 300 individus de 27 espèces ligneuses différentes sur une parcelle privée de 100 m² à Scharrachbergheim (Bas-Rhin). Een janvier 2021, un collectif de citoyens a proposé, sur le budget participatif de la ville de Strasbourg, un projet de plantation de 750 plants ligneux sur 250 m2au beau milieu de l’avenue du Rhin. Mais l’opération la plus importante de cette région (et sans doute de France) a eté lancée fin février-début mars 2021 avec la plantation de pas moins de 24 000 plants ligneux de 40 essences différentes sur 8 000 m2 (une bande de 500 m de long et 10 à 30 m de large) le long de l’A36 au nord de Mulhouse.
Via https://jardinage.lemonde.fr/dossier-3914-methode-miyawaki.html / https://www.mnhn.fr/fr/actualites/microforets-urbaines-que-penser-de-la-methode-miyawaki