Ambiances olfactives et patrimoine

Depuis son atelier au Jardin des métiers d’art et du design, à Sèvres, Carole Calvez compose les odeurs qui accompagnent les visiteurs des musées. Souffle de dinosaure, baume de momie plurimillénaire ou encore terre humide balayée par l’harmattan : plus que des fragrances, elle crée des idées.

« Tout est odeur autour de nous ! Il s’agit de travailler, de manière interdisciplinaire, à tirer un peu toutes les ficelles de ce sens olfactif pour apporter une narration qui permet d’exprimer une architecture, de remonter à des temps anciens en reconstituant des odeurs… C’est vraiment travailler à l’expression de la sensorialité olfactive à travers différents médiums ». Plus concrètement, Carole Calvez a appris à créer des odeurs, rassurantes ou intrigantes, capables de s’emparer de nos imaginaires. « On peut dire, de façon presque universelle, que la vanille est rassurante. Mais des odeurs boisées peuvent l’être également : le santal a une odeur ronde, crémeuse. La fleur d’oranger est également reconnue pour être relaxante, tout comme la lavande ». Mais attention, précise la designer olfactive :  la lavande est désormais associée aux produits ménagers, et a donc un peu perdu de ses vertus. C’est donc la culture, l’histoire, qu’il convient de prendre en compte pour pouvoir proposer des fragrances capables de nous transporter.

Dans l’une de ses dernières scénographies olfactives, réalisée pour l’exposition « Des Chevaux et des Hommes » au musée de la Grande Guerre de Meaux, Carole Calvez avait pour mission de créer une odeur illustrant le lien entre ces animaux et leurs maîtres : « On n’a pas uniquement l’odeur de la bête qui a travaillé, qui a couru… Ça va être aussi l’odeur du cuir, de la paille, du foin sur lequel elle se repose. Le but est de transmettre ces composantes sensorielles très fortes. »

Aujourd’hui, Carole Calvez travaille en collaboration avec des scénographes pour des expositions. En 2017, elle décide donc de suivre une formation. Il n’est alors plus possible d’être nez, les écoles spécialisées ne prenant plus d’étudiants une fois les 25 ans passés. Carole Calvez se tourne donc vers l’institut Cinquième Sens, à Paris, qui vient d’ouvrir une formation de designer olfactif : « Ça correspondait exactement à ce que je voulais faire : travailler l’odeur, sa mise en forme. Quel espace va remplir l’odeur, quelle manipulation on va offrir aux visiteurs pour découvrir cette odeur, comment va-t-il se mouvoir par rapport elle ? C’était vraiment cette question de mettre en forme qui correspondait à ce que je voulais faire au départ ». Grâce à cette formation, Carole Calvez a appris à récolter les odeurs, c’est-à-dire à faire un travail de nez pour les décrire au mieux : « On utilise notre nez pour analyser, pour récolter et décrire toutes nos impressions. On utilise toutes les images qui nous viennent, tous nos descripteurs« . Elle apprend aussi à aller à la rencontre des personnes qui connaissent le lieu ou l’objet dont elle cherche à reproduire la fragrance, pour faire appel à leurs sensations et à leurs mémoires.

Dans son premier projet de scénographie, Carole Calvez travaille pour un centre d’interprétation sensorielle des vins de Champagne nommé Pressoria. « L’objectif, c’était de retranscrire le travail des hommes, de la terre jusqu’au Champagne », se rappelle-t-elle. « C’était un voyage en treize odeurs, de la crayère, du sol, jusqu’à la bulle ». Là, elle cherche notamment à reproduire l’odeur du pressoir : « J’y suis allée pour discuter avec ces viticulteurs qui avaient beaucoup de mal à exprimer ce qu’ils ressentaient. Le pressoir, c’est l’odeur du vin jeune qui coule, des hommes qui travaillent, des tonneaux. Je voulais qu’ils me guident. Au départ, c’était silencieux, et puis au bout d’un peu de temps, ils sont revenus me voir pour me décrire ce qu’était, pour eux, l’odeur du pressoir. C’était assez émouvant. »

C’est à partir de ces nombreuses descriptions que Carole Calvez finit par recréer, dans son atelier, la formule de l’odeur. « C’est comme une recette de cuisine », simplifie-t-elle. « C’est une liste de matières premières avec des quantités. On peut avoir 7 ingrédients dans une formule comme on peut en avoir 60, ou même plus ! La première ligne, ça va être les molécules les plus volatiles. Et plus on descend dans la formule, plus ça va être les matières de fond… »

Depuis ses débuts, Carole Calvez a créé ou reproduit quantité de nouvelles odeurs, y compris des fragrances inattendues, comme celle du baume d’une momie retrouvée en 1900, excavée par Howard Carter, aux alentours de 1900, dans la vallée des Rois. « C »était une demande de l’archéologue Barbara Huber du Max Planck Institute. Elle a analysé de la manière la plus fine un échantillon de ce baume d’embaumement retrouvé là-bas. » Le résultat est étonnamment doux et agréable.

« Une autre expérience incroyable a été la reconstitution de l’intérieur de l’odeur de l’estomac d’un dinosaure, pour une installation qui s’appelait ‘Ceci est son souffle’ pour le Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel« , s’enthousiasme la designer olfactive. « Le but était de reconstituer l’odeur du souffle d’un platéosaure, un herbivore qui vivait à l’époque du Trias. C’était un mélange entre la botanique, la paléontologie, l’art contemporain et l’olfaction ! » Pour parvenir au résultat escompté, Carole Calvez a fait fermenter des prêles et des fougères jusqu’au résultat voulu, avant de diffuser le résultat dans l’installation.

Au vu des demandes, on pourrait penser, à raison, que sa profession est un métier de « niche ». Pourtant, depuis quelques années, Carole Calvez constate « un intérêt grandissant pour l’olfaction dans le milieu culturel ou muséal. Ce sens est un des derniers à être utilisé parce qu’il a des capacités d’immersion, de voyage dans l’espace-temps, mais aussi de valeur scientifique. » Elle y voit aussi un effet de la pandémie du Covid19, qui a fait prendre conscience de l’importance de l’odorat.

Les designers olfactifs sont également sollicités par une nouvelle discipline : l’archéométrie des sens, dont le but est de reconstruire des ambiances sensorielles du passé. Dans ce domaine, l’odorat fait presque figure de nouveauté. Une bonne nouvelle, selon Carole Calvez, pour qui la question du patrimoine olfactif est primordiale. « Quand on parle de patrimoine, ce n’est pas seulement celui d’hier », relève-t-elle. « Il faut savoir comment préserver les odeurs qui nous environnent aujourd’hui mais dont on risque de perdre la trace à tout moment. » Originaire de Bretagne, elle aimerait ainsi consigner les odeurs de l’île d’Ouessant, mais aussi celles d’un archipel plus lointain, Saint-Pierre-et-Miquelon. « C’est une île qui va en partie disparaître, ce serait intéressant de récolter les odeurs de ce territoire, avant qu’elles ne nous échappent » conclut-elle.

Via https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/comme-personne/carole-calvez-designer-olfactive-tout-est-odeur-autour-de-nous-2943792