Avec le développement des technologies numériques, une « fatigue informationnelle » émerge chez les actifs qui font face à un trop-plein d’informations. Quelles en sont les conséquences sur leur façon de vivre leur travail ? S’appuyant sur la deuxième vague de l’enquête sur la fatigue informationnelle, Sébastien Boulonne, Guénaëlle Gault et David Médioni montrent qu’il est urgent de repenser collectivement nos méthodes de travail et notre définition même du progrès et du bien-être professionnel.
La notion de fatigue informationnelle s’appuie sur un indicateur spécifique permettant de mesurer l’impact de l’excès d’informations sur les individus. Cette surcharge cognitive se traduit par une saturation face à la multiplication des données à traiter, qu’elles proviennent des médias, des communications internes en entreprise ou des outils numériques. L’étude montre que cette fatigue touche toutes les catégories d’âge et de fonction, mais de manière différenciée selon le type de poste occupé et l’exposition aux outils digitaux.
Ce phénomène se manifeste par des signes précurseurs tels que des difficultés de concentration, un sentiment d’épuisement ou une baisse d’engagement. Les conséquences vont au-delà de l’individu : elles affectent également la dynamique collective dans les organisations.
Au cœur du problème, les outils numériques et les pratiques professionnelles jouent un rôle déterminant. Emails incessants, visioconférences à répétition, plateformes collaboratives… Autant d’outils pensés pour faciliter le travail mais qui, mal utilisés, deviennent une source de surcharge. Cette abondance entraîne un cercle vicieux où l’efficacité attendue se transforme en stress supplémentaire.
La responsabilité des entreprises est ici pointée : réguler ces outils, éduquer les collaborateurs à une utilisation raisonnée et adopter des méthodes de travail plus équilibrées apparaissent comme des pistes clés. Les initiatives visant à limiter l’accès hors horaires de travail ou à rationaliser les canaux de communication interne commencent à émerger, mais restent encore marginales.
La fatigue informationnelle ne se limite pas à une simple gêne ponctuelle. Elle a des répercussions profondes sur le bien-être des individus. Parmi les effets recensés :
- Une tendance accrue au multitâche, qui réduit la qualité de l’attention et, à terme, la performance.
- Un sentiment d’envahissement qui limite la capacité à se déconnecter mentalement.
- Une augmentation de l’épuisement professionnel, souvent lié à la difficulté à gérer les priorités.
Sur le plan professionnel, cette surcharge cognitive impacte également les relations au travail, favorisant tensions et malentendus. L’implication des salariés, directement corrélée à leur bien-être, se voit fragilisée
L’étude identifie cinq profils principaux d’individus au sein des organisations, selon leur rapport à la fatigue informationnelle et leur engagement :
- Les hyperconnectés résilients : adaptés aux nouvelles technologies, ils jonglent avec aisance entre les outils, mais au prix d’une énergie constante.
- Les saturés déconnectés : en retrait volontaire face au flux numérique, ils choisissent de limiter leur exposition, quitte à s’isoler professionnellement.
- Les multitâches en tension : soumis à une pression forte pour tout gérer en simultané, ils peinent à trouver des stratégies adaptatives.
- Les sceptiques prudents : critiques vis-à-vis des outils, ils adoptent une approche sélective et prônent une sobriété numérique.
- Les détendus numériques : peu exposés ou délibérément détachés, ils conservent une distance saine, mais parfois au prix d’une implication moindre.
Ces profils soulignent la nécessité d’une approche personnalisée pour prévenir les effets négatifs de la fatigue informationnelle. Adopter des pratiques adaptées aux besoins et limites de chacun devient un enjeu majeur pour les managers et les organisations.
Le rapport: https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2024/12/fatigue-inform.pdf
Table des matières
Introduction
Un indicateur de fatigue informationnelle au travail
Un intérêt déclinant pour les médias
Les racines de la fatigue : des outils et des pratiques professionnelles à l’origine d’une surabondance d’informations
La FIT : des implications négatives dans son quotidien
FIT et engagement : cinq profils en entreprise
Conclusion : un équilibre numérique à trouver
Les auteurs :
Sébastien Boulonne est chargé d’études à L’ObSoCo.
Guénaëlle Gault est directrice générale de L’ObSoCo.
David Médioni est directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès