Le Carnaval de Nice et les batailles de fleurs

Le Carnaval de Nice fête en 2023 ses 150 ans d’existence. Cette année, le plus grand carnaval de France, et l’un des plus connus au monde, se déroulera du 10 au 26 février 2023, avec pour thématique les « Trésors du Monde ».

À la fin du 13 ème siècle, le Comte de Provence, Charles II, duc d’Anjou évoquera son passage dans la cité de Nice à l’occasion des  » jours joyeux de carnaval ». Il s’agissait essentiellement de bals masqués se déroulant dans les rues étroites du Vieux Nice.

Au XVIIIe siècle les Anglais découvrirent la douceur de l’hiver niçois, et lancèrent la mode de Nice comme station d’hiver dans la haute société européenne. Et l’on vit passer tous ces aristocrates et ces têtes couronnées courant les bals somptueux donnés dans les salons.

A la restauration sarde décidée par le traité de Vienne les notables niçois, soucieux de manifester leur attachement à la monarchie sarde organisèrent de splendides fêtes, bals masqués au palais ducal, Veglione au théâtre. Et on créa en leur honneur, sur le cours Saleya, avec une trentaine de voitures, le premier corso de Carnaval. Tel fut le commencement des Corsi actuels.

A cette époque, les pêcheurs niçois participèrent au Carnaval en faisant sauter sur un drap une grosse poupée en étoffe bourrée de son et de paille, c’était Lou Paillassou.

Nombreux sont les termes originaux utilisés en Occitanie ou dans la Commedia dell’Arte, pour désigner Paillassou, Palhasso, Pagliaccio, Pedassou, Petasson. Palhasso du latin paleas (paille) et dérivé du grec pallô (secouer, agiter).

Les folkloristes mettent l’accent sur le rôle important de la paille dans le cycle des saisons :  » Elle est le reste ultime de la production végétale qui précisément au temps de Carnaval est en train de germer souterrainement  » On peut établir ainsi, un rapprochement entre le geste des pêcheurs niçois lorsqu’ils bernent le Paillassou et le geste des paysans qui battaient la gerbe pour séparer la tige du grain. Le fait que ce soit des pêcheurs, et non des paysans qui bernent le Paillassou, s’explique en raison de l’éloignement autour de la ville des agriculteurs, leurs fêtes ont lieu dans la banlieue et non dans l’enceinte de la ville où la communauté des pêcheurs joue un rôle  » Nourricier  » important.

La paille est aussi, à travers les termes de paillard, paillardise, le symbole de la licence sexuelle. Entre 1950 et 1978 nous avons assisté à des scène où les berneurs du Paillassou le remplaçaient par de jeunes filles choisies, malgré elles, dans la foule. Berner le Paillassou, le lancer dans la foule, n’est-ce point là rejoindre l’expression populaire  » s’envoyer en l’air  » ? Symbole agraire et sexuel de la paille, ce mannequin est dans la Commedia dell’Arte, un  » pitre à chemise sale, béguin d’enfant, haut bonnet garni de plumes et de chapons  » ainsi que le définit Duchartre.

Très fréquemment signalée pendant le Second Empire, la mascarade du Paillassou est un élément vivant et animé de la fête, une mascarade, accompagnée au son des fifres et des tambours, et souvent précédée d’un Arlequin portant un étendard aux armoiries de Nice (c’est à dire l’Aigle).

Les déguisement choisis par les pêcheurs niçois sont assez variés : en 1862 ils amusent le Corso déguisés en Arabes. C’est un choix qui n’est pas sans portée symbolique car le surnom donné à la vielle ville était celui de Babazouk . Ces pêcheurs, tour à tour déguisés en Sussuri (chauve-souris) le jour de l’arrivée du Carnaval, ou en matelots lors du corso du dimanche 1882, distribuaient au public les paroles en niçois de la chanson des Maurou.

Les batailles carnavalesques

Ce fut aussi en hommage au monarque sarde que les notables niçois participèrent à ce premier corso. Ce fut leur grand retour dans la rue. Depuis les voitures il jetèrent à la foule des fleurs, des cigares et des dragées plates en sucre candi (en italien confetti). C’était le début de ce qui deviendrait un jour les  » batailles de fleurs « .

Aussi nous voyons apparaître au XIXe siècle des  » voitures  » ou des charrettes  » à bord desquelles les occupants jettent des projectiles aux piétons sur le  » Cours « , aux occupants des fenêtres ou des terrasses et en reçoivent copieusement. Des batailles acharnées se déroulent qui semblent faire la joie du populaire et de l’élite. De nouveau la fête se passe dans la rue, alors qu’à la fin du XVIIIe siècle, l’aristocrate assistait surtout à des bals costumés dans les salons du gouverneur ou chez des particuliers. Les populations locale et  » hivernante  » se  » mêlent « , s’affrontent, ou  » s’encanaillent « .

Le parcours a lieu sur le  » Cours Saleya « , la place de la Préfecture et la rue Saint François de Paule. La piétaille tient le pavé, les riches occupent les positions élevées et  » chics  » : fenêtres de la rue Saint François de Paule, terrasses du jardin et de la librairie Visconti, voitures. La rencontre, les heurts se feront à distance, d’où la nécessité de projectiles :  » gentils et nobles au début (bouquets, bombons), de plus en plus sommaires et rudes par la suite (haricots peints, coquilles d’oeufs emplies de suie ou de farine).

Carnaval de Nice
Le Carnaval de Nice à la « Belle Epoque »

Un des endroits privilégié, pour être à la fois acteur et spectateur était la terrasse de la Librairie Visconti, qui joua un rôle dans le décor des fêtes carnavalesque du XIXe siècle. Effectivement pendant les fêtes de Carnaval, la terrasse Visconti, devient le lieu idéal, non seulement pour observer le cortège, mais aussi pour participer à la bataille, d’une manière assez vive et Emile Negrin poursuit sa description avec verve : «  Il faut avoir vu ce spectacle (de la bataille) pour le comprendre. La trompette a donné le signal. Sur le rebord de la terrasse Visconti, une longue ligne de caisses remplies de mitraille ressemble à une ligne d’obusiers et est desservie par des artilleurs en gants jaunes. Excitées par ce barbarisme, celles-ci (les amazones) font un feu bien nourri, avec de la farine, cela n’est pas difficile. Derrière elles, les hommes les plus distingués de l’Europe, redevenus gamins pour un instant, les soutiennent par une fusillade de minotiers. Des chars garnis de banderoles et de feuillages, s’avancent lourdement comme les éléphants de Pyrrus ; ils s’arrêtent devant la tour de Malakoff de Visconti ; une lutte acharnée s’engage aussitôt pour quelques minutes. « –

Carnaval de Nice
Bataille de confettis à Nice, lors du Carnaval

Bientôt la famille impériale russe, les familles royales anglaise, belge, le roi de Bavière, les princes souverain de Wurtenberg, des majestés comme s’il en pleuvait, devinrent des assidus de Nice.

Le Corso Carnavalesque

Le rattachement du comté de Nice à la France en 1860 ne ralentirent ni les festivité ni l’ardeur des combattants. Par contre la chute de l’Empire de 1870 puis les événements révolutionnaires de la Commune de Paris et son échec sanglant effrayèrent les riche hivernants qui délaissairent la Côte d’Azur au profit de la Riviera italienne.

Andriot Saëtone, chef du bureau de bienfaisance à la préfecture et niçois mondain, prit l’initiative de créer en 1873 un comité du carnaval, futur comité des fêtes, composé de ces riches hivernant que l’on voulait voir revenir et de notables niçois.

Ce comité limita les zones permise pour les batailles de confetti de plâtre et interdit les autres projectiles, fit installer des illuminations sur le parcours, ordonnança le corso, institua des prix pour récompenser les chars, les mascarades, les cavalcades. La tentative réussit remarquablement : les hivernant fortunés revinrent et la saison d’hiver niçoise fut sauvée.

Enfin le Carnaval défilait sur le corso. Le dimanche gras de 1873 le Carnaval revêtit le costume de Polichinelle, hérita aussi de ses deux bosses et du tricorne, atteignit plus du double de la taille humaine. Il fut installé sur un fauteuil à roulettes traîné par des pêcheurs et on le fit précéder le premier tour du corso.

Il emprunta, noblesse oblige, le même itinéraire que Napoléon III lors de sa visiter à Nice, de la place Garibaldi à celle de la Préfecture, par les quais du Paillon. Ensuite on le hissa, avec son fauteuil, en haut du double escalier des Ponchettes, face à la Préfecture, d’où il présida la fête. A vingt trois heures précises, le Mardi gras, on le brûla en effigie.

Chaque année le nouveau nom qu’on lui attribua traduisit les préoccupations des Niçois ( » Papa Nice-Coni « , allusion au projet de chemin de fer entre ces deux villes,  » Barba Martin électoral,  » Janus franco-italien « ………….)

Désormais il avait aussi son imagier, Alexis Mossa dont les aquarelles préfiguraient les chars. L’histoire culturelle et artistique de Nice doit énormément aux multiples talents d’Alexis Mossa. Alexis est l’initiateur d’un art niçois enraciné dans le terroir et qui tend toutefois vers une universalité reconnue. C’est un érudit qui réhabilite l’école primitive niçoise de peinture : Durandi et les Bréa. Il crée dans le même souffle la Société des Beaux arts, une Ecole d’art décoratif qui deviendra plus tard l’Ecole nationale des arts décoratifs de Nice; il sera le premier conservateur du premier musée des Beaux-Arts de sa ville.

Le carnaval de Nice par Alexis Mossa
Le carnaval de Nice – Alexis Mossa

Les Mossaz, devenus Mossa lors d’une mauvaise transcription de l’état civil, étaient d’origine savoyarde. La famille vint s’établir à Nice vers 1730. Alexis Mossa était né à Santa Fe de Bogota en 1844 ; il vient en France à l’âge de six ans, fait ses études primaires et secondaires à Nice et reçoit ses premières leçons de dessins du classicisant Carlo Garacci et du talentueux vedutiste Hercule Trachel. Puis il fréquente à Paris l’atelier du néoclassique Picot. Mais c’est à Nice qu’il va déployer son activité plastique et intellectuelle. Gustave-Adolph-Mossa, le fils d’Alexis Mossa, deviendra officiellement « ymagier du Roy Carnaval » de 1902 à 1971.

La première bataille de fleurs

L’année 1875 est restée légendaire dans les annales du Carnaval niçois. Elle fut en effet marquée par un incident singulier qu’on a plaisamment qualifié une affaire Dreyfus carnavalesque provoqué par un jugement malencontreux du Comité. Le char à qui fut décerné le premier prix était d’inspiration académique : c’était une construction monumentale élevée à la gloire de l’héroïne niçoise  » Catherine Ségurane  » . Au contraire, le char des  » Ratapignata  » c’est à dire des chauve-souris en niçois (animal des ténèbres qui se repose tête en bas, bien dans la tradition carnavalesque d’inversion) construit par Jean Cuggia avait plu au public par son caractère fantaisiste. La controverse fut telle que le comité démissionna. Andriot Saëtone qui conserva son poste de secrétaire général dans le nouveau comité, Alphonse Karr et le comte de Cessole décidèrent de scinder la fête en deux parties :

– les défilés carnavalesques, dans le style grotesque et populaire avec batailles de confetti, sur le cours Saleya et la rue St François de Paule,

– les défilés de voitures fleuries, sur la Promenade des Anglais.

En 1876, Andriot Saëtone, créa ainsi sur les conseils d’Alphonse Karr la première Bataille de fleurs sur la Promenade des Anglais. Craignant que les riches estivants ne soient blessés par des jets d’oeufs, d’oranges, de plâtre ou de haricots, on eut recours à des lancers de fleurs qui se transformèrent en véritable spectacle. Les dames de la haute société participèrent aux défilés dans des attelages fleuris. Isabelle, fille de l’empereur Pedro II du Brésil créa le premier corso fleuri à Rio, s’inspirant des batailles de fleurs niçoises.

La culture des fleurs est pratiquée depuis le 18 ème siècle à Nice. Avec l’arrivée du chemin de fer, les fleurs étaient commercialisées à Paris, Londres et Turin. Au 19 ème siècle Alphonse Karr, auteur romantique d’origine allemande et journaliste au Figaro, se retira à Nice en 1851 où il s’intéressa à la floriculture. Karr cultivait des roses, agrumes, héliotropes et anémones, mais aussi des cyclamens, violettes, iris et fleurs d’oranges. Il ouvrit un magasin de vente de bouquets de fleurs pour les riches hivernants , ce qui fut à l’initiative de la création de la Bataille des fleurs. Grâce à l’irrigation des collines niçoises par la Vésubie, la culture des fleurs,très étendue, fit de Nice une des villes les plus importantes  dans ce domaine de production.

Carnaval de Nice
La bataille de fleurs au Carnaval de Nice, à la « Belle Epoque »

Professions Ymagier et Carnavalier

De nos jours, les maîtres d’oeuvre du carnaval de Nice sont les ymagiers et les carnavaliers. Les premiers sont ceux qui vont, grâce à des croquis et des illustrations, proposer sur papier les esquisses de ce que seront les chars du défilé. Les carnavaliers, quant à eux, réaliseront ensuite en 3 dimensions les projets en grandeur nature dans des ateliers la plupart du temps partagés. Au 19 ème siècle ce sont des bénévoles qui se proposaient pour la construction des chars et ce ne sera qu’en 1922 qu’ils se regrouperont en associations. La profession se transmettra de génération en génération au sein des familles et en 1995 les carnavaliers formeront de véritables entités professionnelles.

Le carnaval dans l’art

Carnaval de Nice par Adolphe Willette
Carnaval de Nice par Berthe Morisot
La fête des fleurs à Nice par Henri Matisse
Carnaval de Nice par Paul Signac
La fête des fleurs à Nice par Henri Matisse
Le carnaval de Nice par Raoul Dufy
La fête des fleurs à Nice par Henri Matisse
La fête des fleurs a Nice 1923 par Henri Matisse
Carnaval de Nice par Fernand Verhaegen
Carnaval à Nice par Fernand Verhaegen
Le carnaval de Nice par Alexis Mossa
Bataille de fleurs à Nice par Marc Chagall

Via http://rdelpiano.org/ONPA_Litterature_Carnaval.htm
https://aufildeslieux.fr/le-carnaval-des-retrouvailles-a-nice/