Arbres connectés

Épaulée par des scientifiques, l’artiste russe Olga Kisseleva a tissé un réseau d’arbres connectés les uns aux autres aux quatre coins du monde, prêtant une oreille sensible au mystérieux dialogue végétal ainsi créé.

À Bruxelles, dans la moiteur de leur terrarium, des plantes amazoniennes conversent avec leurs sœurs tout juste sauvées des feux de forêt, à 10 000 km de là, et réfugiées dans un labo brésilien. Le long d’un boulevard parisien, un cèdre vieillissant s’adresse à ses contemporains asiatiques. Et au creux d’une vallée australienne, un pin de Wollemi écoute ses lointains cousins japonais.

Depuis 2012, Olga Kisseleva, enseignante au département « art & science » de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, se voue à connecter, grâce au pouvoir de la technologie humaine, le peuple des arbres. « Les arbres communiquent entre eux via de multiples canaux, raconte-t-elle depuis Saint-Pétersbourg, d’où elle développe une partie de ce projet baptisé EDEN. Par les racines, par des émissions de gaz, des signaux électriques ou des circulations de fluide, ils se parlent ». L’artiste et son équipe ont sélectionné une quinzaine de ces canaux, qu’ils ont analysé et appris à écouter. Des capteurs en tout genre, connectés aux arbres, collectent ce langage, le transcrivent en données, partagées ensuite avec d’autres spécimens en d’autres contrées. Des scientifiques du monde entier collaborent, tandis que l’entreprise télécom Orange lui prête main forte techniquement pour bâtir le vaste réseau.

C’est la renaissance de l’orme de Biscarosse dans le cadre du projet Biopresence d’Olga Kisseleva (2012) qui a servi de catalyseur à la création d’une série d’œuvres d’art biologique à base d’arbres créées par l’artiste au cours de la dernière décennie. Le thème « arboricole » a été repris et développé dans plusieurs études parallèles. L’un de ces projets d’envergure est EDEN Ethics – Durability – Ecology – Nature (Éthique – Durabilité – Écologie – Nature), qui a débuté en 2012 et s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui. Le projet aborde une série de questions, dont la protection des espèces végétales menacées et la communication interspécifique entre des sujets vivants qui sont placés dans la catégorie « inhumaine ».

En collaboration avec des chercheurs de différents pays, Olga Kisseleva « ressuscite » actuellement les espèces végétales suivantes : l’orme d’Europe occidentale (projet Biopresence, France), les palmiers Afarsimon et Methuselah (désert du Néguev, Israël et Jordanie), Sophora toromiro (île de Pâques), Bodhi Jiulian (Chine et Inde), le pin Wollemi (Australie) et le cultivar de pomme Aport (Kazakhstan).

L’artiste passe au crible les hypothèses émises par des scientifiques européens, selon lesquelles les plantes peuvent « communiquer » entre elles. Olga Kisseleva étudie également la possibilité de « jeter un œil » sur ce « dialogue » arboricole, voire d’y participer. Cette idée a donné naissance au projet dans lequel les arbres peuvent « communiquer » à deux niveaux : entre eux dans le modèle T2T (Tree – To – Tree), et au niveau du T2N (Tree – To – Network) global. Les arbres inclus dans le projet peuvent communiquer entre eux à travers les continents. Les humains peuvent suivre leur communication à travers les installations interactives créées par l’artiste.

Ce réseau aide les arbres à optimiser leurs mécanismes vitaux et à se protéger d’éventuels agresseurs. Les arbres inclus dans le projet peuvent communiquer avec les humains par l’intermédiaire d’Internet et les informer de tout danger qui peut être perçu par la végétation avant que nous n’en ayons connaissance. EDEN a expérimenté la première communication entre les arbres historiques du baume de Galaad en Israël et les arbres similaires en Jordanie (Listening to Trees Across the Jordan River, Negev Museum of Modern Art, 2020). Grâce au système T2T, des arbres poussant dans des conditions naturelles (cèdres du Japon) et des arbres qui ont une mémoire biologique différente (pin Wollemi) établissent un contact par l’intermédiaire de leurs proches au Japon, et apprennent d’eux le scénario anti-catastrophe (Echigo Tsumari Contemporary Art Triennale, 2018).

Domaine de Chaumont-sur-Loire, Saison 2024, Armille

Via https://usbeketrica.com/fr/intelligence-des-arbres-aussi-respectable-que-la-notre