La Fête de l’Ours au patrimoine de l’humanité

Les fêtes de l’Ours ont lieu chaque hiver dans cinq villages de la chaîne de montagnes des Pyrénées, situés en Andorre et en France. Dans la vallée pyrénéenne du Haut-Vallespir, on célèbre chaque année au mois de février, cette très ancienne fête de carnaval dans trois villages des Pyrénées-Orientales : Arles-sur-Tech, Prats-de-Mollo-La-Preste et Saint-Laurent-de-Cerdans. Le 29 novembre 2022 cette tradition a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

La Festa de l’Os (ou Chasse à l’ours, Jour de l’ours) est une tradition carnavalesque catalane et pyrénéenne durant laquelle des hommes déguisés en ours se lancent à l’assaut du village, symbolisant la fin de l’hibernation de l’ours et le début du printemps. Début février, vers la Chandeleur, l’ours descend de la montagne en quête d’une belle à enlever. A Arles, Prats, Saint Laurent, la population s’organise pour que l’ours retrouve sa nature humaine. Histoire d’une fête unique, venue du fond des temps.

Dans la région, l’ours est le personnage central d’une légende qui rappelle l’implantation traditionnelle de ce plantigrade dans les Pyrénées-Orientales en le rattachant au carnaval, rituel de fertilité et de fécondité. Autrefois, la fête de l’ours marquait le départ des chasseurs des villages du Haut-Vallespir à la chasse à l’ours. On en trouve mention dans un texte de 1424 en Catalogne. 

Le 17 décembre 2014, les trois fêtes catalanes avaient déjà été inscrites à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, prélude à cette candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2021, les trois fêtes de l’ours avaient dû être annulées dans les trois villages pour cause de pandémie du Covid-19.

Le temps arrêté

Le Haut-Vallespir, terre de monastères et de haute résistance catalane, a gardé une forte empreinte médiévale, souvent porteuse de légendes et de mythes. Derrière les murs épais d’Arles, les enfants ont encore peur des Simiots, ces hommes singes qui les enlevaient, il y a mille ans pour les dévorer. A Saint Laurent, l’ombre des tours de Cabrenç s’ensanglante parfois au crépuscule pour rappeler batailles et massacres. A Prats, l’arbre « mentider » raconte encore à qui sait l’écouter l’histoire de Josep de la Trinxeria qui se souleva contre le Roi Soleil pour rester catalan et ne pas payer la gabelle. En Haut-Vallespir, tous les printemps, on se prépare au retour de l’ours avec une fête unique, multiséculaire, dont l‘authenticité attire une foule considérable.

Les forces obscures

Le premier danger dont l’ours est porteur aux yeux des hommes, c’est qu’il risque d’enlever les jeunes filles pour leur faire subir les pires outrages dans les bois profonds. C’est sous ce prétexte qu’il va être chassé, comme s’il était symboliquement un rival insupportable. Cette figure de l’ours, ultra-viril et au ban des règlements des hommes et de la loi de Dieu, s’inscrit évidemment dans les fêtes de carnaval, ce moment ultime où la sensualité se débride, avant d’entrer dans le Carême. La fête de l’ours est une fête d’exorcisme et de libération. On imagine aisément qu’il n’y a pas si longtemps, ce devait être un des seuls moments de l’année où les jeunes gens pouvaient toucher les jeunes filles, avec la bénédiction de l’assistance !

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Un ours sorcier

Bien sûr, l’ours est un faux ours, il est masqué à l’origine de peaux de bêtes et fardé de suie (enfin, autrefois car aujourd’hui, on utilise plus volontiers du cirage et parfois même un costume « intégral » d’ours !) : il évoque irrésistiblement un chaman amérindien. Les chasseurs lourdement armés et les barbiers dotés de haches qui vont s’en emparer pour le raser et lui rendre littéralement figure humaine, sont déguisés aussi, les uns avec leurs allures de trappeurs, les autres avec leurs chemises de nuit blanches et leurs bonnets… Pourtant, dans ces hautes vallées fermées, cerclées de châtaigniers et de murailles, la tradition diffère d’un village à l’autre, même si la trame reste la même. Du coup, les trois ours n’ont pas lieu en même temps, car il n’est pas rare que des inconditionnels parcourent toute la vallée et fassent donc trois fois la fête !

Deux ours à Prats

D’abord à Prats, où on ne fait jamais les choses à moitié, il y a deux ours, fardés de noir et porteurs d’un grand baton ! Ils vont se battre en duel avec les hommes les plus vaillants du village ! Après les sardanes, sur le firal bien sûr, et un de ces repas roboratifs et goûteux caractéristiques de nos vallées, les ours, descendant de la montagne, c‘est-à-dire du fort, arrivent dans la foule massée sur les placettes du centre-ville et commencent à vouloir embrasser et étreindre les jeunes filles qu’ils « marquent » de noir et poursuivent à grand renfort de grognements. Il faut dire qu’ils ont hiberné tout l’hiver… Ils sont poursuivis par des chasseurs et des barbiers. Une fois attrapés, les ours sont rasés, puis « humanisés ». Ils réapprennent à danser avec de jolies filles et à boire au pourou. Ils ont regagné le cercle des hommes.

La Roseta à Arles

A Arles, c’est un couple de chasseurs, la Roseta et son compagnon, qui inscrivent toute la matinée les volontaires qui feront la battue contre le féroce plantigrade. Pour ce faire, ils sonnent le rappel dans les rues étroites de la vieille cité. A midi, il y a donc la trobada des chasseurs qui se réunissent sur la placeta en dansant et jurent qu‘ils auront, c‘est le cas de le dire, la peau de l‘ours. La Roseta sert d’appât à l’ours qui ne peut pas résister à son charme et finit par se montrer. Enfin, après une chasse à l’ours débridée au son de la banda « Els Tirons » et de la cobla « Les Casenoves », doublée d’une chorégraphie de barbiers armés de haches, l’ours est pris et la population assiste à son grand rasage, qui survient toujours juste à la tombée de la nuit. Le danger est écarté, l’ours est redevenu homme et Arles peut s’endormir. Notons au passage le rôle étrange de la Roseta qui se trouve presque en position de commandement, ce qui n’existe pas dans les deux autres villages.

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La Monaca à Saint Laurent

A Saint Laurent, tout commence le matin. Les jeunes du village commencent à lutiner les filles dans les ruelles et à passer sous leurs jupes, l’escalfador, une bassinoire où grillent des poils de cochon, une claire allusion sexuelle que tout le village considère pourtant comme relevant de la tradition. Une fois le monstre capturé, on l’enchaîne. Il récite alors « la predica de l’òs » pour implorer la clémence des chasseurs, et danse. On ne peut s’empêcher de penser à la très vieille tradition des montreurs d’ours. Il est suivi d’un très curieux personnage, particulièrement sinistre, doté de deux troncs, deux têtes, quatre bras et quatre jambes. Quand il se retourne, ses membres de paille heurtent les passants tandis que sa face blême et funèbre effraie les plus petits. C’est la Monaca. Des jeunes, revêtus de longues chemises blanches brandissent sous le nez du public un boudin trempé de muscat, encore une allusion transparente à laquelle pourtant personne ne trouve à redire. Plusieurs fois, c’est la règle, l’ours tente de s’échapper mais il est bientôt amené sur la place. Les barbiers dansent autour de lui, une hache à la main, au son de la cobla. L’ours s’effondre. Il est mort à son animalité. Il se relève alors et fait danser une jeune fille, enfin revenu à son statut d’homme.

On danse, on chante et on boit…

On le voit, le mythe a été revisité d’un village à l’autre, plus ou moins empreint de sacré, plus ou moins explicite en termes d’allusions sexuelles, mais il s’agit clairement de la même fête. A l’origine elle avait lieu pour la Chandeleur et était suivie du Carnaval proprement dit. Dans les montagnes du Vallespir, février est un mois glacial. Aussi, ces fêtes sont-elles l’occasion de force libations dans les rues et cafés des villages, et sont connues pour attirer les bons vivants.

via http://capcatalogne.com/venue-fond-ages-fete-de-lours/

Pyrénées : Les fêtes de l’ours inscrites au patrimoine immatériel de l’Unesco